École d'agriculture
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L'École d'agriculture et l'aboiteau :
Symboles de la modernisation agricole au Québec

Tiré des chapitres 4 et 5 de Matthew Hatvany, Marshlands : 
Four Centuries of Environnemental Change on the Shores of the St. Lawrence 
(Presses de l'Université Laval, 2003)



À l'automne de 1859, l'École d'agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière ouvrait ses portes pour la première fois. C'était l'établissement de la première école permanente d'agriculture au Canada et la deuxième en Amérique du Nord. Pour mieux comprendre l'importance de cet événement, il faut qu'on se souvienne qu'au milieu du dix-neuvième siècle, l'économie et la société du Bas-Canada (aujourd'hui le Québec) étaient en pleine transformation à cause de l'industrialisation et du manque de bonnes terres agricoles dans la vallée du Saint-Laurent.

À cause surtout de la pression démographique sur les bonnes terres et la migration des jeunes Canadiens vers les emplois industriels en Nouvelle-Angleterre, le clergé et les élites de Kamouraska ont cherché des moyens pour garder la jeunesse sur les terres ancestrales. Une des premières solutions, dite " solution traditionnelle ", était le mouvement de colonisation agricole vers le Lac Saint-Jean, et au sud, vers le plateau appalachien; c'est une histoire bien connue. Moins connue est celle de l'autre réponse née à Sainte-Anne-de-la-Pocatière à ce moment, c'est-à-dire une solution dite " moderne " à rendre l'économie agricole plus payante en établissant une école d'agriculture à Kamouraska. Certainement, l'abbé François Pilote du Collège de Sainte-Anne n'était pas le premier à avoir une telle idée, mais à cause de ses énergies, Pilote était le premier à réussir à convaincre le gouvernement d'aider le collège à établir une école d'agriculture à Sainte-Anne.

Le curriculum de l'École d'agriculture de Sainte-Anne était divisé en deux parties : apprentissage et pratique. Les idées modernes en agriculture venant d'Europe étaient enseignées dans les salles de cours de l'école. En même temps, les élèves étaient obligés de travailler sur la ferme-modèle de l'école et de mettre en pratique leurs leçons. Dans les rapports annuels de l'école, un des sujets les plus importants était le drainage. En effet, le drainage était une préoccupation parmi toutes les sociétés d'agriculture d'Europe et de l'Amérique du Nord. À Sainte-Anne, la productivité agricole était souvent limitée par le manque de bon drainage des terres argileuses et les inondations fréquentes des basses terres par les hautes marées de l'estuaire du Saint-Laurent. 

Dès le début de l'école, l'amélioration du drainage des basses terres de la ferme-modèle était une priorité. En 1859, selon Pilote, " On avait creusé un grand fossé ouvert, de 5 pieds de profondeur, 5 pieds d'ouverture et 18 pouces au fond …. Ces démonstrations de drainage… sont déjà pour les cultivateurs… un enseignement d'une grande importance…. Cet ouvrage a demandé 197 journées pour les hommes y compris le temps des élèves…. Ces travaux ont coûté un peu cher à la vérité, mais ils ne sont pas hors de proportion avec la valeur des terrains améliorés ". En addition au drainage, sous la direction de Pilote, on construit, entre 1859-1861, un aboiteau de 9 arpents de long (selon la description), c'est-à-dire, une grande digue construite en vue d'empêcher les grandes marées de l'estuaire d'inonder les basses terres mises en culture. L'aboiteau était érigé de façon à ne pas laisser passer l'eau de l'estuaire, tout en permettant aux terres de s'égoutter dans le fleuve. Une porte horizontale, s'ouvrant du côté des eaux et suspendue par sa partie supérieure du pied de la digue, suffisait pour obtenir ce résultat. Le système fonctionnait grâce au phénomène de la pression des marées, la porte ouvrant à la marée basse et fermant à la marée haute.

Le drainage et la construction d'aboiteaux coûtaient très chers, mais pour Pilote, ces travaux étaient des symboles de progrès pour les élèves et cultivateurs de la région de Kamouraska. Avec un bon drainage, Pilote écrivait :

La terre est augmentée dans une très forte proportion.… Qu'elle se trouve même doublée en certaines circonstances.… Nous ne sommes ni Belges, ni Anglais; l'espace ne nous manque pas comme dans les vieux pays.… Mais si l'extension du sol cultivable n'est pas, à ce point de vue, chose urgente, nous ne sommes pas dispensés du devoir d'améliorer ce que nous possédons. L'amélioration du sol est une extension sur place, pour ainsi dire, car c'est la création d'une force et d'une richesse nouvelle, qui s'exprime à l'instant même par l'augmentation du travail et de l'aisance.

Si l'idée de faire drainer et de construire un aboiteau appartenait à François Pilote, c'était Jean-Daniel Schmouth, professeur d'agriculture à Sainte-Anne, qui a prévu une plus large place pour l'aboiteau dans l'avenir de l'École d'agriculture et de la région de Kamouraska. Dans la Gazette des Campagnes de 1874, il écrivait que " Sur les bords du fleuve Saint-Laurent, et surtout de la Rive-Sud… existent de grandes étendues de terrain ". Ces basses terres, continuait-il,

semblent douées d'une très grande richesse, et l'œil est surpris de n'y voir pousser que des herbes marines …. En été, quand les pâturages élevés sont trop rasés, les cultivateurs envoient leurs bestiaux sur les grèves durant une dizaine de jours. C'est tout le produit qu'on retire de ces terrains si riches en apparence…. Pour mettre ces terrains en culture, il faut donc tout d'abord empêcher les eaux salées de les submerger, tout en donnant aux eaux de pluie un écoulement facile.… Dans nos localités, ces conditions sont remplies par des digues en terre connues sous le nom d'aboiteaux…. L'étendue de terrain que l'on pourrait ainsi conquérir sur le fleuve… est immense…. Seulement dans la paroisse de Sainte-Anne… un aboiteau unique… rendrait cultivable une surface d'environ 24 600 arpents.… N'avions-nous pas raison de dire, en commençant, que peu de spéculation n'est aussi avantageuse que la mise en culture de ces [basses terres] ?

À travers les 150 années qui ont suivi, respectant les conseils de l'École d'agriculture et plus tard le gouvernement du Québec, les cultivateurs de Kamouraska ont construit quelque 27 km d'aboiteaux sur les rives du comté de Kamouraska. Aujourd'hui, la disparition de plus de la moitié des marais salés de l'estuaire du Saint-Laurent (en partie à cause des aboiteaux) est devenue une préoccupation importante des environnementalistes du Québec. En effet, c'est une ironie bien représentative de notre époque " post-industrielle " que les symboles de la modernisation et du progrès d'une génération soient devenus des emblèmes de la maladie de la société post-industrielle face à la dégradation environnementale.


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